Sunday, May 20, 2012

Le train s’arrêta à Ostia Antica

Le train s’arrêta à Ostia Antica. Quai désert, matinée morne, quelques oisillons sautillaient sur un vieux banc aux lattes dévissées. Je pris une passerelle de fer rouillé qui enjambait une route déserte Il y avait comme un miroitement aquatique aperçu un instant derrière quelques saules.

Je marchais le long de pavillons délabrés, avec dans les jardins, des sièges d’auto à l’abandon, des pneus entassés contre un mur de torchis, le scintillement des feuilles, détritus pourrissants.

Vers l’entrée du site archéologique qui ressemblait à l’entrée d’un stade à l’abandon quelques autocars poussiéreux immatriculés en Pologne ou en Slovaquie.

Je pris un ticket. Les allées couvertes de larges dalles étaient bordées de touffes d’herbe qui frissonnaient sous un vent qui sentait la mer. Dans ce paysage aplati net, évacué après une fin du monde, la fine glaçure d’une mosaïque avec des gladiateurs décolorés ou des poissons dans un filet. A coté affleurent des murs de briquettes cuites par le vent, le sentiment d’avancer à la pointe de la dernière terre ferme.

C’était un de ces endroits désolés qui apportent avec l’air froid des bouffés d’exaltation subite : être le dernier homme, planète débarrassée des conflits, extinction définitive des chamailleries et piailleries humaines, le ciel blanc sans nuages laisse voir derrière des excavations herbeuses la mer réduite à un trait, calme derrière une clôture de haut grillage. On sent l’éloignement, le murmure du vent, le repos de dalles qui sont les tombes légères, belles d’une aubaine ou d’une promesse, des insectes cachés dans les verdures proposent de nouvelles règles de vie, un sentier avec ses odeurs sauvages.

Puis, désolation, poussière, dessèchement, quelque chose d’ensablé dans le temps, de figé, une sorte de grève d’échouage : vide, silence, creux, distillation froide sous la pinède. Un grillage encercle ce pays d’exil que borde une mer vitrifiée.

Le mince trait neigeux d’un avion partage le ciel en deux.

L’arène ou l’espèce d’amphithéâtre, semble retapé de la veille, c’est un bassin de pierres effritées, avec des ronces, des racines, flaques d’eau trouble urineuse, boites de bière aplatie.

Au loin la haute voix claire — comme si la distance n’existait plus — d’un guide entouré d’un groupe de lycéennes. Allées cernées de choses tristes, cimetière fade d’une ville portuaire morte. Ce qui s’éparpille et se perd dans cette terre plate, un endroit perdu, dépeuplé après un cataclysme et sa mer retirée qui miroite d’un gris de plomb, un endroit de montées orageuses, de bruines interminables, d’hiver évanoui, de marécage et d’eaux mortes, d’alluvions, d'écoute triste. Quelques pavillons isolés aux volets clos bordent ce paysage évacué qui vous réduit en ombre. Et curieusement, un bâtiment plat moderne jette des luisances d’acier et de grandes baies.

Imaginez une cour dallée avec quelques tables et chaises empilées entourée de deux bâtiments vitrés, anonymes, style cafeteria avec deux tourniquets débordant de cartes postales qui vibrent sous les rafales. Le ciel s’est lentement nacré. Je commandai une bière, j'achetai deux cartes postales. Sur l’une j’écrivis à Constance, restée à Nevers, que je l’aimais encore, et sur l’autre qui représentait Calliope dans une tunique aux plis fins qui mettaient ses genoux en valeur, je n’écrivis rien car je ne savais pas à qui l’envoyer. Quelques gouttes de pluie vinrent tacher mes cartes postales et la tôle de la table. Je me levai, pris ma veste, mon portable, mon briquet, et rentrai à Rome la populeuse, là où brillait le soleil.

Jacques-Pierre Amette

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