Tuesday, July 5, 2011

Le combat de la vie

Après-midi, chez Claus Valentiner, quai Voltaire. J’y ai également rencontré Nebel, l’ « outcast of the islands » qui, demain, comme au temps des Césars romains, part pour l’une des îles. Puis, chez Wiemer, qui fait ses adieux. Là, Madeleine Boudot, la secrétaire de Gallimard, m’a remis les placards de la traduction des Falaises de marbre par Henri Thomas.
Au Raphaël, j’ai été tiré du sommeil par un nouvel accès de tristesse. Cela vient comme la pluie ou la neige. J’ai eu la nette conscience de l’énorme distance qui nous sépare les uns des autres, et que l’on peut précisément mesurer dans nos rapports avec les personnes qui nous sont les plus proches et les plus chères. Nous sommes, comme les étoiles, séparés par des espaces infinis. Mais il n’en sera pas de même après la mort. Ce que la mort a de beau, c’est qu’avec la lumière corporelle, elle abolit aussi ces distances. Nous serons au ciel.
Pensée, qui, alors, me fait du bien: peut-être Perpetua pense-t-elle précisément à toi.
Le combat de la vie, le fardeau de l’individualité. A l’opposé, l’indivis et ses tourbillons toujours plus profonds. Aux instants de l’étreinte, nous y plongeons, nous nous abîmons dans des zones où gîtent les racines de l’arbre de vie. Il y a aussi la volupté légère, fugitive, pareille au combustible qui flambe, et tout aussi volatile. Au-delà, au-dessus de tout, le mariage. « Vous serez une seule chair. » Son sacrement ; le fardeau est désormais partagé. Enfin, la mort ; elle abat les murailles de l’isolement individuel. Elle sera l’instant de la gratification suprême. Matthieu XXII, 30. C’est par-delà la mort, et là seulement, où le temps n’est plus, que nos véritables liens ont formé le noeud mystique. Il nous sera donné de voir, quand la lumière s’éteindra.

Ernst Jünger, Paris, le dimanche 22 février 1942

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