Friday, June 24, 2011

Je vois clair dans la loi

Le patron s'était levé et se dirigea en chaussettes vers le visiteur. Il tendit la main : "Bonjour, Hugh."
Hugh Miller lui serra la main, pénétra dans la pièce. Quant à moi, je me glissai vers la porte, mais le patron m'arrêta d'un signe de tête. Il désignait ma chaise du menton. Aussi je serrai la main d'Hugh Miller et me rassis.
"Asseyez-vous, djt le patron à Hugh Miller.
- Non, merci, Willie, répondit Hugh Miller de sa voix lente et solennelle. Mais que ça ne vous empêche pas de vous asseoir, Willie."
Le patron se laissa tomber dans son fauteuil, posa les pieds sur la chaise et demanda : "Alors, qu'y a-t-il ?
- Vous le savez, je pense, dit Hugh Miller.
- En effet, je pense que je le sais.
- Alors vous allez sauver la mise à White.
- Je me fous de White, dit le patron, je sauve quel­qu'un d'autre.
- Il est coupable.
- D'accord, reconnut le patron avec entrain. A sup­poser que les notions de culpabilité et d'innocence puissent s'appliquer à une nullité telle que Byram B. White.
- Il est coupable, dit Hugh Miller.
- Mon Dieu, vous parlez comme si Byram était un homme ! C'est une chose ! On ne poursuit pas une ma­chine à calculer si un ressort claque et fausse les calculs. On la répare. Eh bien, j'ai réparé Byram. Si bien que ses arrière-petits-enfants à naître feront dans leur culotte à l'anniversaire de ce jour, sans savoir pourquoi. Bon Dieu ! ça leur prépare une lourde hérédité. Ah ! Byram n'est qu'un objet qu'on emploie, et il sera très utile à partir de maintenant.
- Beau discours, Willie, ça ne changera rien au fait que vous sauvez White.
- Au diable White ! Je sauve autre chose ! Si on laisse les types de la bande à MacMurfee s'imaginer qu'ils peuvent fourrer leur nez dans cette affaire, Dieu sait où ils s'arrêteront. Vous croyez qu'ils apprécient les mesures que j'ai prises ? La taxe sur l'extraction du charbon ? L'augmentation des redevances pour les terrains apparte­nant à l'État ? L'impôt sur le revenu ? La politique du réseau routier ? La loi sur la santé publique ?
- Je sais bien que non, ils ne l'aiment pas, admit Hugh Miller. Ou, du moins, les types derrière Mac­Murfee n'aiment pas ça.
- Et vous, vous appréciez ?
- Oui, dit Hugh Miller, j'approuve ces mesures, mais pas tous leurs à-côtés.
- Hum ! dit le patron, et il sourit. L'ennui c'est que vous êtes avocat, et diablement bon avocat.
- Vous aussi, vous êtes avocat, dit Hugh Miller.
- Non, je ne suis pas avocat, je m'y connais un peu en droit. Je m'y connais même beaucoup. Et ça m'a rapporté de l'argent, mais je ne suis pas avocat. C'est pourquoi je vois clair dans la loi. La loi, c'est une petite couverture pour une personne sur un lit à deux per­sonnes, où on dort à trois par une nuit froide. Il n'y a même pas assez de couverture pour couvrir tout le monde, et on a beau tirer dans tous les sens, quelqu'un est tou­jours sur le point d'attraper une pneumonie. La loi, c'est le pantalon, acheté l'année dernière pour un petit garçon en croissance, et cette année les coutures craquent, les mollets sont à l'air. La loi est toujours trop courte et trop étroite pour l'humanité en croissance. Le mieux est d'agir, et ensuite d'arranger la loi pour couvrir vos agisse­ments. Mais, le temps que la foi figure dans les codes et on aura déjà fait quelque chose de différent. Pensez-vous que tous mes actes soient catalogués sous des ru­briques claires et simples dans la constitution de cet État ?
- La Cour suprême a jugé !... commença Hugh Miller.
- Ouais ! parce que c'est moi qui l'ai mise en place pour juger. La moitié de mes actes étaient anticonstitu­tionnels, mais ils ne le sont plus, bon Dieu. Et comment ? Parce que quelqu'un les a accomplis."

Robert Penn Warren, Les Fous du Roi, p. 226-227

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